Cinéma vs écriture

Cyril Bron
4 min readJan 9, 2020

« Voilà pourquoi la conception assez courante, qui tient le cinéma pour un système de signes, me semble profondément et essentiellement erronée[…]C’est pourquoi je m’oppose tant aux tentatives des structuralistes à vouloir analyser le plan comme un signe d’autre chose, comme un bilan sémantique ». (Tarkovsky)

Position de Tarkovsky:

Tarkovsky: Cinéaste soviétique mort en 1986.
Il a réalisé 7 longs métrages de fiction. 4 films ont été censurés en raison de rupture avec l’esprit soviétique de l’époque.
Tarkovsky est le défenseur d’un cinéma épuré. Pour lui, le cinéma est un art du temps. Avec la caméra, on enregistre du temps qui passe…

Malgré des descriptions très précises, l’écriture fait appel à l’imagination du lecteur et à sa subjectivité. L’écriture est avant tout un système de signes que le lecteur-trice va rattacher à son propre imaginaire.

Alors que le cinéma est une réalité sensible. La camera enregistre.

D’une certaine manière, celui qui écrit, peut interrompre son travail sans avoir aucune influence sur le déroulé du récit ou de la thèse. Alors que sur le set d’un tournage, les événements se déroulent en dehors de l’enregistrement de la caméra.

« Voilà pourquoi la conception assez courante, qui tient le cinéma pour un système de signes, me semble profondément et essentiellement erronée[…]C’est pourquoi je m’oppose tant aux tentatives des structuralistes à vouloir analyser le plan comme un signe d’autre chose, comme un bilan sémantique ». p.208–209

Aussi bien dans la sémiologie que dans le structuralisme, il s’agit de faire des analogies avec la littérature et la linguistique. D’une certaine manière, on importe les composants littéraires au cinéma. Le rapport entre signifiant et signifié…

Et selon Tarkovsky, ça ne marche pas. Au cinéma, les plans des films ne sont pas des signifiants.

« le cinéma et la musique sont en ce sens des arts directs, car ils n’ont pas besoin d’un langage intermédiaire. C’est là une propriété déterminante qui à la fois rapproche le cinéma de la musique et l’éloigne de la littérature, où tout est exprimé par un système de signes, de hiéroglyphes. Une œuvre littéraire ne peut être perçue qu’à travers des symboles, des concepts, en l’occurence les mots. Alors que le cinéma, comme la musique, nous offre de percevoir une œuvre d’art directement par les sens […] Le cinéma […] opère avec des matériaux donnés par la nature même, manifestée par un passage du temps dans l’espace » p.208

…un passage du temps dans l’espace. C’est la définition même du cinéma par Tarkovsky. Quand on enregistre avec une caméra et jusqu’au montage, nous avons affaire à des lieux, et des événements qui s’y déroulent. Le plan est forcément traversé par du temps qui passe…

même dans le plan d’un pot de fleurs, on peut y voir les variations de la lumière ou un peu de vent…

Position de Deligny:

Deligny: Educateur, instituteur et écrivain mort en 1996.

Il s’engageait pour des méthodes éducatives pédagogiques alternatives. Notamment il est parti vivre dans les Cévennes dans les années 1960 avec des jeunes autistes. Dans cette vie en communauté, il n’y avait pas de projet pédagogique: on partage la vie en communauté et chacun participe aux tâches quotidiennes.

Deligny s’est beaucoup engagé contre le langage utilisé par les professionnels en présence ou la place de celles et ceux qui ne pratiquent pas le langage (les autistes par exemple).

« C’est évident qu’ils pensent, ces enfants qui n’ont aucunement l’usage du langage. Il faut leur foutre la paix, mais l’institution ne supporte pas ça. Elle ne supporte pas l’absence du langage, rien à faire. Il faut du langage quelque part ou nous, on est perdu »

et justement à travers cet engagement contre l’usage du langage, Deligny fait un parallèle avec le cinéma qui justement selon lui, n’est pas du langage.

« des images qui ne sont pas des effets de langage, ça touche bien au-delà »

Selon Deligny, les images du cinéma ne sont pas sur la pellicule (ou actuellement sur une carte SD) mais entre celui qui filme et celui qui est filmé. Donc l’image est la trace de ce rapport-là.

et Deligny fait un parallèle entre l’image du cinéma et l’autisme:

« C’est la différence entre agir et faire. Nous, nous faisons quelque chose, c’est l’intention ça, c’est le langage : on fait la soupe, on fait la vaisselle, on fait je ne sais pas quoi. Un gamin autiste ne fait rien : c’est de l’agir. […] De même pour l’image : une image ça ne se fait pas dan mon jargon. Une image arrive, elle n’est que coïncidence…[…]Or coïncidence, l’image au sens où je l’entends, l’image propre, est autiste. Je veux dire qu’elle ne parle pas. L’image ne dit rien. »

A propos du film « le moindre geste »

Ici, on peut faire un parallèle entre Tarkovsky et Deligny.

Encore une fois, selon les deux auteurs, l’image de cinéma n’est pas du langage. Elle n’est pas un concept. Il y a quelque chose qui se vit dans une image.

Une image c’est du temps vécu, un rapport et une relation.

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Cyril Bron

Passeur de flux visuels et sonores, Réalisateur indépendant, webdesigner, formateur media-video